Le “Team Learning” et les nouvelles situations d’apprentissage l’apport de deux méthodes pédagogiques : la classe inversée et l’apprentissage par problème

Introduction – à propos de l’apprenance en équipe

On apprend toujours seul et jamais sans les autres” nous dit Philippe Carré.

Cette citation souvent reprise illustre à elle seule ce qui sous-tend la théorie socio-constructiviste de l’apprentissage, déjà évoquée dans un autre billet.

Par ailleurs, un autre auteur fréquemment cité est Peter Senge, d’abord connu pour son livre célébrissime la 5ème discipline,  livre fondamental sur le thème de l’organisation apprenante, livre qui fait référence à la notion d’apprenance en équipe.
Pour Peter Senge, l’équipe est l’unité élémentaire de l’apprentissage au sein d’une organisation. Il appelle TEAM LEARNING cette discipline que les traducteurs français on traduit par “apprenance en équipe”, et là, ils ont choisi de faire référence à l’apprenance, concept cher à Philippe Carré.

Comme la 5ème Discipline a longtemps été mon livre de chevet, lu plusieurs fois dans les deux éditions, dans la langue originale et en traduction, je n’hésite pas au plaisir d’en extraire dès maintenant une longue citation relative à l’apprenance en équipe:

“Comment des managers motivés, avec des QI individuels de 120, peuvent-ils constituer une équipe au QI global de 63 ? L’apprenance en équipe est la discipline qui doit répondre à ce paradoxe. Il a été prouvé que les groupes peuvent apprendre. Dans les sports, les arts dramatiques, les sciences, et même dans le monde du travail, on observe des équipes exemplaires dont l’intelligence dépasse celle de ses membres et qui possèdent d’extraordinaires capacités d’action collective. Quand les équipes sont réellement capables d’apprendre, non seulement elles atteignent des résultats sans précédent, mais encore elles donnent l’occasion à leurs membres de se développer comme jamais ils n’auraient pu le faire individuellement.” [1]

C’est par le « dialogue » que commence la discipline de l’apprenance en équipe : la capacité des membres à laisser de côté leurs préjugés et à réfléchir ensemble. Pour les Grecs anciens, dialogos signifie l’expression libre au sein d’un groupe, …

Apprendre ensemble  au sein des communautés d’apprentissage et des communauté de pratique

Apprendre ensemble, les uns des autres, c’est la finalité commune aux communautés d’apprentissage et aux communautés de pratique. Les premières sont rattachées de manière formelle ou informelle à un dispositif de formation (par exemple un MBA en ligne) et les secondes ne le sont pas.

Apprendre ensemble, par exemple dans un cursus universitaire, peut résulter d’une auto-organisation pour optimiser, au travers d’un travail collectif, ses chances d’une réussite individuelle aux examens, en se soutenant mutuellement dans le processus d’apprentissage en mutualisant les résultats des recherches et synthèses effectuées (comptes-rendus de lectures, fiches de synthèse, fiches de révision, …)
et, naturellement, quand le dispositif a incorporé la dimension collaborative dans sa stratégie pédagogique (ce qui va donc officialiser l’existence de la cohorte d’apprenants en tant que communauté d’apprentissage) pour toutes réalisations en équipes. Dans ces travaux en équipes seront également développées les qualités (soft skills) attendues par les futurs employeurs.
Au sein des communautés de pratique, l’apprendre ensemble est à l’origine  de la communauté, sa finalité même.

A la définition d’une d’une communauté de pratique la plus diffusée sur le Web, que l’on doit à Etienne Wenger et  Jean Lave, je vais préférer ce texte d’Amaury Daele. Amaury Daele est Conseiller pédagogique à l’Université de Lausanne:

“Définition et origine
Une Communauté de Pratique (CdP) est un groupe de personnes qui témoignent d’un intérêt commun pour un domaine précis. Ce domaine est généralement lié à une profession particulière mais pas nécessairement (un hobby par exemple). Ces personnes se réunissent régulièrement, en face à face ou à distance. Elles partagent leurs pratiques quotidiennes, rassemblent des ressources utiles et développent de nouvelles façons de considérer ou decomprendre leurs activités et leur domaine de référence. Par leurs activités, elles formalisent leurs connaissances tacites, discutent et débattent à propos de thématiques variées et développent chacune leurs compétences professionnelles. Ensemble, elles contribuent aussi à développer leur identité personnelle ou professionnelle en même temps que l’identité de la communauté qu’elles constituent…” [2]

Concrètement comment l’apprendre ensemble, l’apprenance en équipe, peut-il se traduire: classe inversée et Apprentissage Par Problème

Après avoir présenté l’intérêt de l’apprenance en équipe tant au cours de la formation initiale que dans le cadre de la mise en oeuvre des communautés de pratique, la deuxième partie de cet article examine deux méthodes pédagogiques qui peuvent être mise en oeuvre dans l’un ou l’autre contexte.

La méthode la plus récente est celle dite de la classe inversée (flipped classroom en anglais) et la seconde celle de l’apprentissage par problème (problem based learning).

La classe inversée

Marcel Lebrun, a beaucoup fait pour vulgariser le concept de classe inversée

Marcel Lebrun est docteur en Sciences, actuellement professeur en technologies de l’éducation et conseiller pédagogique à l’Institut de Pédagogie universitaire et des Multimédias (IPM) de l’UCL (Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve, Belgique).

La Classe Inversée

La Classe Inversée

Monsieur Lebrun est très présent sur FaceBook et son audience est internationale, et plutôt que de paraphraser sa pensée, je vais vous renvoyer vers son BLOG et à cette une conférence sur YouTube.

Mon point de vue sur la classe inversée

Après une définition sommaire mon point de vue personnel examinera trois dimensions: la pédagogie, la dimension spatiale  et la dimension temporelle d’une classe inversée.

Définition
Pour qui ne connaîtrait rien au concept de classe inversée, une définition simple et sommaire pourrait être la suivante: la classe inversée c’est suivre les cours à la maison, et faire ses devoirs ou exercices en classe.
Les dimensions pédagogiques de la classe inversée

On peut considérer la classe inversée comme une méthode et/ou processus pédagogique qui va lui même combiner différentes méthodes et situations pédagogiques.

En effet, dans la mise en oeuvre de la classe inversée, il y a toujours deux grands temps:

  • un premier temps (à la maison) d’acquisition de connaissances, et, un deuxième temps (en classe) d’application de ces connaissances, généralement dans des configurations d’équipes.
  • La classe inversée est souvent associée à la mise en oeuvre de pédagogies actives, et collaboratives sans que celles-ci soit formellement définies dans les caractéristiques d’une classe inversée.
  • La pédagogie du premier temps peut être, classiquement, “expositive”, par le biais de capsules vidéos enregistrées par l’enseignant, mais elle peut / pourrait être interactive (par le biais de l’utilisation de ressources interactives :modules e-learning, serious games, etc.) et, aussi, déjà collaborative (soutien mutuel, tutorat par les pairs, forums de discussion,…).
  • La pédagogie du deuxième temps, est souvent active et collaborative, et repose sur les théories socio-constructivistes [3] de l’apprentissage.
  • L’enseignant est un guide, la collaboration entre participants est encouragée et organisée au sein d’équipes ou de sous-groupes, avec des rôles bien définis – y compris avec des rôles qui autorisent à circuler librement entre les équipes (l’espion, l’abeille, …); les exercices ou projets à réaliser mobilisent les connaissances acquises au cours du premier temps et permettent d’évaluer les acquisitions.

La dimension spatiale de la classe inversée

  • La classe inversée permet de dépasser l’ espace physique des 4 murs de la salle de classe. L’espace physique se double d’un espace virtuel, les ressources consultées le sont sur une plate-forme virtuelle,
  • cette plate-forme virtuelle (Hub, LMS) peut potentiellement intégrer toutes les formes d’interaction: interaction avec les membres de la communauté d’apprentissage au sein de réseaux sociaux propres ou généralistes, mais aussi dans des espaces dits de réalité virtuelle.
  • L’interaction via le téléphone mobile peut prendre des formes multiples en accord avec la culture et les pratiques sociales habituelles des élèves et étudiants.
  • Certains vont privilégier tel ou tel réseau social, d’autres choisir de circonscrire les interactions dans un environnement dédié (ce qui en aucune manière ne va empêcher les apprenants de s’organiser pour sortir de cet environnement “contrôlé”)
    Un environnement dédié présente l’avantage d’un certain niveau de confidentialité et sécurité, et facilite la supervision des échanges (ainsi que les interventions de l’enseignant), il a pour inconvénient de ne pas toujours présenter toutes les fonctionnalités conversationnelles auxquelles les collégiens, lycéens et étudiants sont habitués.
    Cet espace virtuel est accessible, en dehors (en amont et en aval) des moments en classe, mais l’on peut aussi l’introduire dans le déroulement même de la classe, en digitalisant tout ou partie des activités, en utilisant de manière synchrone des outils de collaboration en classe – avec la possibilité de faire intervenir des animateurs/ enseignants à distance – en utilisant par exemple des outils de téléconférence, visio-conférence, classe virtuelle ou de collaboration à distance comme l’outil Tamashare, qui permettra de faire collaborer en toute sécurité des équipes réunies dans la même salle et des équipes ou individus distants.  Dans un cadre scolaire, par exemple dans le cadre d’un programme de jumelage comme etwinning, l’on peut imaginer deux classes de deux pays différents travaillant ensemble sur un projet commun, intéressant une école dans un pays tiers, ou dans l’un des deux pays. et là on passe d’une modalité (et méthode) à une autre, celle de l’Apprentissage Par Problème, voir de l’Apprentissage Par Projet (APP) qui ne sera pas traité dans ce billet, mais que l’on pourrait décrire comme un enchaînement de situations d’apprentissage par problème (chaque grande étape du projet étant considérée comme un problème à résoudre.

La dimension temporelle de la classe inversée

  • Un argument fort en faveur de la classe inversée, est qu’elle permet d’individualiser le temps d’apprentissage initial (l’acquisition des connaissances – ou la partie “cours”). Chacun peut avancer à son rythme, répéter ou revoir les ressources autant de fois que nécessaire, ce qui est matériellement impossible dans la contrainte temporelle de la classe.
  • Dans cette dimension asynchrone du temps de l’apprentissage, les différences individuelles de vitesse ne portent pas préjudice aux activités collectives et collaboratives.
  • Cette première phase peut ou pourrait aussi comporter des moments synchrones en amont du moment de réunion en salle de classe, par exemple en classe virtuelle pour de l’évaluation des acquis, ce qui naturellement ajoute une étape intermédiaire au processus.

Apprenance en équipe et L’apprentissage par problème (APP)

Par apprenance en équipe, nous faisons référence au “Team Learning” de Peter Senge. Pour Peter Senge, l’apprenance en équipe passe par le dialogue, une qualité de dialogue. Dans son livre la 5ème discipline, Peter Senge, présente l’apprenance en équipe comme une pyramide avec trois niveaux.

L’apprenance en équipe selon Peter Senge

  • A la base de la pyramide, il place les pratiques et met en évidence 4 pratiques:
    – suspendre ses postulats
    – agir en collègues (avec bienveillance)
    – reconnaître ses réflexes défensifs
    – s’entraîner
  • Au milieu de la pyramide il place les principes, 3 principes
    – dialogue (dialogos)
    – combinaison du dialogue et de la discussion
    – prise en compte des réflexes défensifs
  • En haut de la pyramide, il place l’esprit de la discipline:
    – intelligence collective
    – cohésion

Pour un individu, nous avons déjà vu plus haut que l’apprentissage en équipe permettait d’atteindre des niveaux de performances (de l’équipe) et d’apprentissage inaccessible à un individu seul.

Dans une organisation, cet apprentissage en équipe peut intervenir soit au sein d’équipes dans l’organisation formelle, soit au sein d’une communauté de pratique métier regroupant de manière transversale des personnes appartenant à des équipes différentes mais intéressées à un titre ou à un autre par le même domaine de connaissance.

L’Apprentissage Par Problème
L’Apprentissage par Problème (APP) est né dans une université, mais s’applique aussi très bien à certaines activités de communautés de pratique (par exemple, comme processus d’accueil des nouveaux dans une communauté, sous la supervision de mentors ou tuteurs, ou dans le cas de missions de recherche-développement ou de veille confiées par l’organisation d’accueil.

L’Apprentissage par problème (APP) ou Problem Based Learning (PBL), est une méthode pédagogique née au Canada à la fin des années 60 utilisée pour la première fois pour former des étudiants en médecine
En Europe, L’Université de Maastricht est à la pointe des applications de l’APP.
L’Apprentissage Par Problème est un système de formation qui est centré sur l’indépendance de l’apprenant. On met l’accent sur l’apprendre à apprendre, rassembler et traiter l’information scientifique de manière indépendante et en collaborant avec les autres apprenants.
Les apprenants/ étudiants sont organisés en groupes d’une dizaine de personnes qui travaillent ensemble à la résolution d’un problème concret. L’enseignant à un rôle d’accompagnateur/tuteur aux différentes étapes de l’apprentissage.

Les étapes de la démarche

Phase 1 : Exploration du problème
Phase 2 : Détermination et définition du problème
Phase 3 : Planification de la recherche
Phase 4 : Recherche d’informations
Phase 5 : Analyse des informations
Phase 6 : Synthèse
Phase 7 : Objectivation et retour critique

De ce qui précède on peut aussi induire les enseignements suivants:

La construction des connaissance nécessaires à la résolution du problème est une démarche collective
– l’activité du groupe est découpée en grandes phases, à l’intérieur du groupe chaque apprenant a un rôle bien défini; de la même manière à chaque phase, le rôle de l’animateur est également spécifié avec des questions clés à poser, des points clés à vérifier avant de laisser le groupe poursuivre son travail (par exemple il faut s’assurer que le problème posé a été correctement posé avant de passer à la phase suivante).
le rôle de l’enseignant / formateur / animateur passe d’un rôle de transmission (de connaissance) à un rôle d’accompagnement d’un processus d’apprentissage.
Pour que la méthode fonctionne il faut veiller à formulation initiale de la situation problème, suffisamment riche, suffisamment floue, suffisamment intéressante pour qu’elle soutienne la motivation du groupe et exige une recherche effective d’informations pour la construction des connaissances nécessaires à la résolution du problème sous-jacent.

L’efficacité de l’Apprentissage Par Problème:
Une revue de quelques meta-analyses sur l’efficacité de l’apprentissage par problème, fait apparaître que L’APP se révèle globalement plus performant que les situations d’apprentissage plus traditionnelles. Si l’on distingue le niveau des compétences (Skills) celles-ci sont systématiquement meilleures. Quant aux connaissances, si elles se révèlent moins nombreuses que les connaissances acquises dans une situation traditionnelles, elles sont mieux mémorisées [4]

Conclusion

L’apprenance en équipe, ou l’apprentissage en équipe est une situation d’apprentissage totalement cohérente avec la théorie socio-constructiviste de l’apprentissage. Certaines méthodes pédagogiques telle la classe inversée et l’apprentissage par problème mettent en oeuvre de telles situations d’apprentissages. Celles-ci ont prouvé leur efficacité aussi bien dans contextes scolaires ou universitaires que des contextes d’entreprises. Ces méthodes sont des méthodes actives, interactives et collaboratives. Le rôle de l’enseignant ou de l’animateur est celui d’accompagnateur du processus d’apprentissage et d’architecte de la situation d’apprentissage.

Notes et référence

[1] Source: La 5ème discipline (extraits)

[2] Source: Les communautés de pratique

[3] Source – Edutechwiki
[4] Source – Sciencedirect

The review reveals that there is a robust positive effect from PBL on the skills of students.
[…] the results for skills give a consistent positive picture. For knowledge-related outcomes the results suggest that the differences encountered in the first and the second year disappear later on. A last remarkable finding related to the retention period is that students in PBL gained slightly less knowledge, but remember more of the acquired knowledge.

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Comments (2)

  1. Bablofil
    May 05, 2017

    Thanks, great article.

    Reply
  2. Celine
    May 08, 2017

    Merci, interessant et clair.

    Reply

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