Communauté de pratique et management de la formation – 2/6

« Vers un modèle de compréhension des processus et de l’expérience d’apprentissage au sein des communautés en réseau »

Introduction

Dans cet article , le premier de la série de 6, nous avons présenté l’ouvrage collectif Communauté de pratique et management de la formation [1] – Ce deuxième article, se propose de présenter la contribution d’Amaury Daele,  « Vers un modèle de compréhension des processus et de l’expérience d’apprentissage au sein des communautés en réseau », cette contribution qui par ailleurs ouvre la première Partie de l’ouvrage, constitue une excellente introduction au sujet car il combine des composantes théoriques et pratiques, présente une définition des Communautés de pratique, ainsi que les principales critiques faites à Wenger et esquisse un modèle de l’apprentissage au sein des communautés.

Rappels sur la théorie de l’apprentissage situé

Dans cette première partie, Amaury Daele, résume quelques principes clés issus de la théorie de l’apprentissage situé. Je me suis efforcé de réduire,  sans trop la déformer, sa propre synthèse :

  1. « L’interdépendance entre le milieu culturel de l’apprenant, son environnement d’apprentissage et ses connaissances. Les apprentissages développés sont culturellement ancrés autour d’une histoire commune, de représentations sociales, de pratiques partagées, d’un vocabulaire négocié, etc. C’est au sein de cette culture commune que les apprentissages prennent sens. »

  2. « L’apprentissage comme une participation à une activité sociale. L’apprentissage est donc considéré comme un acte de participation et d’intégration à un groupe social en maîtrisant progressivement son fonctionnement et ses normes. »

  3. L’internalisation des apprentissages – qui dépasse la notion de transfert bien connues des enseignants. Pour Lave et Wenger, l’apprentissage se réalise grâce au développement de l’expérience de la personne en interaction avec d’autres professionnels dans un contexte qui valorise autant (et en même temps) la formalisation et la négociation de sens des savoirs et des savoir-faire, que l’expérimentation et la participation à une pratique professionnelle.

Définition de la Communauté de pratique (selon Amaury Daele) les processus principaux à l’oeuvre dans une telle communauté (selon Wenger)

Après l’énoncé des principes de l’apprentissage situé, Amaury Daele nous donne une définition [2] plutôt opérationnelle de la notion de communauté de pratique, et présente 4 processus principaux d’une CoP selon Wenger

Une communauté de pratique

«  Une communauté de pratique se présente comme un groupe de personnes qui partagent un même domaine d’intérêt professionnel ou non, et qui grâce aux liens qui se tissent entre elles, à leurs discussions, à leurs prises de décision, leurs débats et la formalisation de savoirs et savoir-faire, développent leur pratique, c’est-à-dire l’ensemble des actions, connaissance, compétences, représentations, sentiments d’identité ou outils de travail qui définissent leur activité au sein de leur domaine d’intérêt. »

les quatre processus principaux qui sont à l’œuvre dans une telle communauté, selon Etienne Wenger :

  1. La participation active des membres, c’est-à-dire leur engagement à partager, discuter ou mener des projets ensemble ;

  2. La réification ou formalisation de leurs connaissances ou savoir-faire tacites

  3. La négociation du sens de leurs pratiques, c’est-à-dire la manière commune dont ils conçoivent et les mettent en œuvre ;

  4. Le développement de leur identité commune en tant que groupe spécialisé dans leur domaine

Les critiques faites à la théorie de Lave et Wenger

(extraits du résumé fait par l’Amaury Daele)

  • Pour Roth & Lee, il existe des contradictions dans la théorie […] qui conduisent à confondre les apprentissages individuels et collectifs, et à ne pas pouvoir identifier comment ils s’influencent mutuellement

  • Johnson fait remarquer que des recherches sont nécessaires pour que la théorie tienne compte des différences qui existent avec les communautés virtuelles […]

  • Chanal s’interroge sur la capacité des communautés de pratique à soutenir les processus de gestion de projets des équipes, et Sanders va dans le même sens, en soulignant que cette théorie ne peut pas s’appliquer à toutes les situations de travail. Par ailleurs, selon lui, la théorie de Wenger ne pas prend suffisamment en compte les enjeux de pouvoir […]

  • Enfin, Daele a émis une critique plus méthodologique […] Pour cet auteur, il est difficile de recourir aux notions avancées par Wenger pour mener une recherche qualitative, par exemple, ou pour concevoir des critères d’analyse ou d’observation de situations réelles.

Dans la dernière partie de cette section de son article, Amaury Daele nous présente le cheminement et les recherches / études, (que je n’évoquerai pas ici) qui ont conduit à l’élaboration du modèle présenté ci-après.

Le modèle des processus d’apprentissage au sein d’une communauté de pratique

Le modèle ci-dessous se lit de bas en haut et dans le sens des aiguilles d’une montre. La notion de Pratique en constitue le point de départ et d’arrivé.

La pratique est entendue au sens de Wenger, c’est-à-dire l’ensemble des actions et des connaissances autant que des théories, les idéaux ou les représentations individuelles et collectives liés à l’exercice de cette pratique

Les processus d’apprentissage, selon Daele, sont soutenus par six types « d’objets » échangés entre les participants :

  1. Des évocations d’expériences personnelles,

  2. Des apports méthodologiques,

  3. Des références théoriques,

  4. Des règles ou normes partagées,

  5. Des démonstrations logiques,

  6. Des pistes pratiques

En toile de fond de ce modèle, plusieurs conditions sont nécessaires pour que les processus apparaissent et se développent jusqu’à l’appropriation de nouvelles pratiques par les membres de la communauté :

  1. Conditions d’entrée : représentations de son propre développement professionnel lié à la discussion et à la collaboration avec les collègues, les habitudes personnelles de prise de recul par rapport à sa pratique, etc.

  2. Conditions de participation : temps disponibles, organisation de la communauté elle-même, définition d’objectifs communs … développement de l’écoute entre les membres et du sentiment d’avoir « droit à l’erreur » dans les discussions, etc.

  3. Conditions d’apprentissage : représentations par les participants de leurs propres capacités à apprendre et à changer leurs pratiques, qualité des interactions sociales, etc.

Un modèle de l’expérience d’apprentissage au sein d’une communauté de pratique

Toute cette section de l’article peut se résumer par le tableau ci-dessous

Variations dans les raisons de

participer à une communauté

de pratique

Variation dans la perception

du processus d’apprentissage

individuel ou collectif

Variation dans la perception

des résultats d’apprentissage

individuel ou collectif

1. Acquérir davantage

d’informations à propos

du domaine ;

2. En savoir plus sur les

connaissances/pratiques

des autres ;

3. Partager ou échanger des

connaissances/pratiques ;

4. Changer ses connaissances/

pratiques individuelles ;

5. Changer les connaissances/

pratiques communes.

1. Connaissances/pratiques

individuelles se développent

au contact d’experts ;

2. Connaissances/pratiques

individuelles se développent

en apprenant des autres ;

3. Connaissances/pratiques

individuelles se développent

en participant à des activités

collectives ;

4. Connaissances/pratiques

communes se développent

en participant à des activités

collectives.

1. Informations individuelles ;

2. Consolidation des connaissances

individuelles ;

3a. Changement des

connaissances/pratiques

individuelles ;

3b. Consolidation des connaissances/

pratiques communes ;

4. Changement des connaissances/

pratiques communes ;

5. Changement de pratique en

dehors de la communauté.

Tableau 1 : L’expérience d’apprentissage des membres de communautés de pratique

(Ashwin & Daele, 2008)

Note : dans ce tableau, chaque niveau englobe les niveaux précédents, dans la première colonne, l’item 5 englobe les 4 items qui le précédent

Perspectives

Dans cette section de l’article, qui fait fonction de conclusion, Amaury Daele, nous propose quatre pistes de recherche, que nous compactons ci-dessous comme nous nous sommes permis de le faire pour l’ensemble du contenu de l’article :

  1. Développer des recherches plus longitudinales qui suivent le parcours de développement professionnel de membres de communautés de pratique […] Les perspectives proposées par Etienne Wenger-Trayner et al (2015) allant dans ce sens

  2. Documenter davantage les activités de débat entre les membres d’une communauté de pratique

  3. (Etudier) l’environnement organisationnel qui soutient les communautés de pratique

  4. D’un point de vue méthodologique, utiliser des approches qualitatives telles que la phénoménographie [3] ou l’ethnologie

Commentairefinal

L’article d’Amaury Daele, a plusieurs mérites à mes yeux. Il synthétise des éléments théoriques et propose des éléments utiles de modélisations issus d’étude terrain. Sa place en tête de la partie théorique de l’ouvrage n’est pas fortuite. Son mérite est aussi de rapprocher la théorie de Lave et Wenger, qui fait toujours référence, et sa critique. Les pistes de recherche qu’il propose me semblent également très pertinentes, et sont aujourd’hui probablement plus faciles à réaliser qu’à l’époque à laquelle son modèle a été élaboré, en raison des traces que les membres de communautés de pratique, sont susceptibles de laisser à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace de la communauté, notamment dans les réseaux sociaux professionnels « publics » (Xing, Viadeo, LinkedIn).

Si je dois exprimer un regret, tu m’excuseras Amaury, de ne pas avoir trouvé dans le modèle le rôle clé joué par l’animateur de la communauté et des membres du noyau dur, aussi bien au moment de son émergence que pour son maintien dans le temps. Et, sur le plan du vocabulaire, j’aurais aimé voir apparaître dans le modèle, la notion de dialogue et de conversation(s) entre les membres, à côté, ou en lieu et place des notions d’échange et de débat qui apparaissent dans le modèle.

Références et Notes

[1] Communauté de pratique et management de la formation » ouvrage collectif, sous la direction d’Eddie Soulier et Jacques Audran, paru aux Presses de l’UTBM

[2] Un article de l’ouvrage collectif fait référence aux 125 définitions différentes de la notion de communauté de pratique recensée par un chercheur dans la littérature

[3] Phénoménographie – 

Marton décrit d’ailleurs la phénoménographie comme l’«étude empirique des différentes manières qu’ont les gens d’expérimenter, percevoir, appréhender, comprendre et conceptualiser différents phénomènes et aspects du monde qui nous entoure» (Marton, 1994), ce qui ne cantonne donc pas la phénoménographie au domaine de l’éducation, mais au monde qui nous entoure (Marton, 1981).

 

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