Nous repartirons de, une fois encore de l’article de Josianne Basque [1] citant Lucy Suchman
Nous savons déjà évoqué Lucy Suchman, dans le billet 6/101 « Lucy Suchman, mon téléphone portable et moi« .
Pour Josianne Basque, le point de vue de Suchman est le suivant: « les plans ne déterminent pas le cours des actions: ils jouent un rôle avant et après une action, mais ont un rôle minimal dans le cours même de l’action. Ce n’est que lorsqu’un problème se présente que l’on ferait une réflexion sur l’action.
Si l’on doit envisager aujourd’hui l’apport de l’intelligence artificielle à la théorie de l’apprentissage situé, il nous faut élargir la question à d’autres modalités digitales ayant un impact sur la situation perçue / vécue: l’IA au travers du machine learning, deep learning et l’adaptive learning, ainsi que la réalité virtuelle et la réalité augmentée.
Machine learning et deep learning posent la question de l’usage de l’ordinateur dans la cognition. Si l’on revient aux éléments fondamentaux de la théorie de l’apprentissage situé, la connaissance n’est pas dans le cerveau de l’homme, mais aussi dans l’environnement, dans les outils et méthodes qu’il utilise.
Le machine learning aura permis à l’application que j’utilise sur mon téléphone portable, de reconnaitre ou anticiper mon intention de communication dans un contexte donné, et me pourra me proposer les mots qui compléterons la phrase en cours d’écriture, comme nous l’avons vu dans le billet 6 évoqué ci-dessous.
Si l’on utilise la puissance du deep learning pour rechercher des ressources et construire des parcours entièrement personnalisés qui s’adaptent en permanence aux caractéristiques de l’apprenant, à ses apprentissages passés à ses objectifs futurs, l’on va pouvoir en permanence re-contextualiser les activités afin d’optimiser l’expérience d’apprentissage. Maximiser les résultats en ajustant les efforts, aux capacités (cognitives) du moment. Le système pourrait par exemple, déceler directement ou indirectement (directement via des objets connectés aptes à mesurer en temps réel des données physiologiques de l’apprenant) une situation de stress peu favorable à l’apprentissage, ou, a contrario, exploiter une situation de « flow » pour proposer des activités cognitivement plus exigeantes
Selon des études réalisées par et pour Google, dont je n’ai malheureusement pas gardé la référence, la performance d’un usager d’un outil informatique dépend pour l’essentiel de deux facteurs:
– du temps d’accès à une information du système d’aide (calculé en centièmes de seconde) et
– de la compétence initiale de la personne. Autrement dit, en agissant sur l’accessibilité des ressources, l’on va rendre l’environnement plus favorable à l’apprentissage, d’autant plus favorable que le niveau de compétence initiale était déjà élevé. NOTA: des deux facteurs, la compétence initiale est le plus important
Que l’on ne va pas confondre avec la réalité augmentée, nous propose une immersion sensorielle d’un utilisateur dans un environnement virtuel généré par un ordinateur.
Si l’on considère la réalité virtuelle du point de vue de la théorie de l’apprentissage situé, on peut penser que celle-ci permet, de (re)créer des environnements ayant existé (un amphithéâtre romain) ou qui n’existent pas encore (par exemple une usine future) à des fins spécifiques d’éducation, de formation ou de recherche.
La réalité virtuelle permet aussi de faire interagir, dans un environnement virtuel des personnes distantes, une modalité d’interaction qui trouve toute sa valeur quand la collaboration est nécessaire à la résolution de problème, quand la situation exige la collaboration entre acteurs aux compétences complémentaires, quand le site réel présente un haut niveau de dangerosité, ou est tout simplement inaccessible à l’homme.
Inutile d’aborder ici toutes les applications possibles en matière de formation, d’autres l’on déjà fait. Les limites sont essentiellement celle de l’imagination, des moyens disponibles et des compétences requises pour créer ces environnements.
Selon l’association de promotion de la Réalité Augmentée [2]
» La réalité augmentée peut être considérée comme une interface entre des données numériques, que l’on qualifiera abusivement de « virtuelles », et le monde réel. ... »
La réalité augmentée modifie de fait la situation d’apprentissage. A un instant T, l’individu accède à des informations, généralement synchronisées avec ses actions dans le monde réel, informations qui en retour vont faciliter son action dans le monde réel.
Une histoire (authentique) : un guérisseur africain à qui l’on demandait s’il avait l’intention d’envoyer son enfant à l’école, répondait « Il n’ira pas à l’école tant qu’il n’aura pas appris tout ce que la nature a à lui apprendre ».
N’est-ce pas le raisonnement des grands patrons de la Silicon Valley qui « mettent » leurs enfants dans des écoles Waldorf où ils ne seront pas exposés aux écrans qui portent cette réalité virtuelle.
De manière générale, nos téléphones portables sont les premiers outils de cette réalité virtuelle, et, quand nous « filmons » une scène de la vie réelle ne sommes-nous pas en train de la virtualiser, en perdant à tout jamais la chance de la vivre, tout simplement. La question, n’est pas de se battre contre l’IA, la réalité augmenté, la réalité virtuelle, elles sont là, et que trop là, peut-être, comme ce film viral nous le montre : Killer Drones. Attention, âmes sensibles, s’abstenir.
[1] Basque Josiane (2004) Le transfert d’apprentissage, qu’en disent les contextualistes. In A. Presseau et M. Frenay, Le transfert d’apprentissage: comprendre pour mieux intervenir. Quebec : Presses de l’université Laval
[2] Réalité Augmentée – Site web de l’association de promotion de la réalité augmentée
Billets précédents:
Billet 1: Définitions de l’apprentissage situé
Billet 2: Pourquoi s’intéresser à la théorie de l’apprentissage situé?
Billet 3: Démarche et retour aux sources
Billet 4: Mai 1968 et l’apprentissage situé
Billet 5: Apprentissage situé et conversation
Billet 6: Lucy Suchman, mon téléphone portable et moi
Billet 7: Conversations avec moi-même (n° 1)
Billet 8: L’apprentissage situé mis en pratique, cela ferait quoi?
Billet 9: Contribution de la psychologie soviétique à la théorie de l’apprentissage situé
Billet 10: Les apports de la philosophie à la théorie de l’apprentissage situé
Billet 11: Focus sur l’école Dewey
Billet 12: Apports de la psychologie de la perception – la notion d’affordance
pierre dussault
janvier 01, 2018excellent article Christian!