Communautés de pratique et management de la formation – 5/6

Christian Martin: dimensions interculturelles de la communication au sein de communautés de pratique naissantes: confiance, conversations, convivialité

Source  : Communauté de pratique et management de la formation  » [1] ouvrage collectif, sous la direction d’Eddie Soulier et Jacques Audran, paru aux Presses de l’UTBM

Introduction

Cet article est le cinquième [2] consacré à une analyse commentée de l’ouvrage Communauté de pratique et management de la formation  » ouvrage collectif, sous la direction d’Eddie Soulier et Jacques Audran, paru aux Presses de l’UTBM   [1]

Dans cet article, nous allons présenter et commenter l’article rédigé par mes soins (Christian Martin) il y a maintenant plus de deux ans  : Dimensions interculturelles de la communication au sein de communautés de pratique naissantes : confiance, conversations, convivialité

L’intention d’origine était d’explorer l’impact des différences culturelles sur la création et l’animation de communautés de pratique interculturelles.

Alors que dans les autres articles de la série, je me suis efforcé de synthétiser et commenter les éléments de contenu de manière bienveillante et aussi éclairée que possible, dans celui-ci , je propose à la fois de faire une analyse un peu plus critique de ma propre production, à la lumière des deux dernières années de vie professionnelle en Allemagne, et faire un retour sur le making of de l’article, d’une part du point de vue du processus collaboratif, et, d’autre part, du point de vue de mon propre processus d’ écriture.

L’article (structure , contenu et analyse critique)

L’introduction

Dans l’introduction est posée la question de l’apprentissage comme étant au coeur des communautés de pratique, leur raison d’être. L’auteur (c’est moi, et cela semble étrange de parler de soi-même à la 3ème personne) rappelle la définition d’une communauté de pratique selon Etienne Wenger [3], et les éléments qui la constituent  : un domaine, une communauté, une pratique.

Ensuite, l’hypoththèse de de l’auteur est présentée selon laquelle il y aurait trois facteurs clés, trois conditions fondamentales à l’émergence et au bon fonctionnement de communauté de pratique interculturelles  : confiance, conversations et convivialité.

Cet article est découpé en deux grandes parties.

L’auteur nous dit :

Dans une première partie, nous examinerons la question des théories de l’apprentissage qui fondent implicitement ou explicitement l’apprentissage au sein de communautés de pratique et quelques aspects culturels et/ou linguistiques susceptibles d’intervenir dans les processus d’apprentissage […] Dans une deuxième partie, nous aborderons successivement les trois facteurs identifiés précédemment.

THÉORIE DE L’APPRENTISSAGE ET INCIDENCE DE LA LANGUE DE TRAVAIL SUR

L’APPRENTISSAGE DANS UNE COMMUNAUTÉ DE PRATIQUE INTERCULTURELLE

La théorie socio-constructiviste de l’apprentissage  :

L’auteur contraste le constructivisme selon Piaget et le Socioconstructivisme selon Vigostoski en évoquant le concept clé de ZDP [4]. Il résume le principe fondamental du socioconstructivisme en reprenant à son compte la phrase célèbre de Philippe Carré : « On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. » en oubliant de le citer (mea culpa).

Les théories expérientielles de l’apprentissage

En début de section, l’auteur nous dit  :

« Ces théories peuvent se résumer simplement par la définition suivante : « L’apprentissage est le processus par lequel le savoir est créé par la transformation de l’expérience. » Le mot-clé est ici « processus ». Selon ces théories, l’apprentissage n’est pas un résultat, mais un processus. »

Il examine la question très concrète du retour d’expérience dans une communauté de pratique interculturelle et nous dit  :

«  …du point de vue de l’apprentissage au sein d’une communauté interculturelle, la question en apparence simple à se poser serait celle du modèle de fiche de retour d’expérience (REX) à proposer aux membres de la CoP. En quoi les différences culturelles vont-elles intervenir dans l’élaboration d’un tel modèle afin qu’il puisse convenir à tous ?  »

Le connectivisme

Cette section nous présente le connectivisme selon Siemens et Downes

«  La théorie du connectivisme, théorie récente défendue par Siemens et Downes s’efforce de dépasser les limites des théories de l’apprentissage antérieures. Selon Siemens, ce qui définit le connectivisme, c’est :

– Une connaissance en réseau et distribuée ;

– Apprendre, c’est former de nouveaux réseaux, neuronaux, conceptuels et externes ;

– Ce qui se passe dans des espaces complexes, chaotiques et mouvants ;

– De plus en plus assisté par la technologie. …  »

L’auteur nous dit ensuite  :

«  Du point de vue de l’animation d’une communauté de pratique interculturelle, la question essentielle à se poser, me semble-t-il, est celle de l’interconnexion et de l’animation de ces réseaux internes et externes.  »

La/les langues de travail de la communauté de pratique interculturelle

Dans cette section l’auteur défend une idée personnelle sur la langue de travail

«  La langue de travail que l’on utilise dans la communauté va déterminer de manière forte la vitesse et les capacités d’apprentissage de la communauté et de ses membres. La maîtrise de la langue de travail détermine fortement les capacités d’apprentissage. Il n’y pas un linguiste et/ou un seul enseignant de langue qui vous contredira. La solution laplus fréquente imposée à tous est l’usage de la langue anglaise supposée connue de tous sans que la maîtrise réelle en soit vérifiée.  »

Son point de vue explicite, est qu’il s’agirait de mettre en place des médiations linguistiques et culturelles en laissant chaque participant s’exprimer dans sa langue maternelle.

Deuxième partie  : CONFIANCE, CONVERSATIONS ET CONVIVIALITÉ

dans la section introductive l’auteur nous dit:

« Pourquoi ces trois mots-clés ? Le premier m’est venu immédiatement, car le mot « confiance » émerge dans tous les forums de discussion dès lors que l’on parle de conditions de réussite, d’un projet de changement, de la mise en place du Knowledge Management, du déploiement d’un dispositif de formation e-learning reposant sur la collaboration et, naturellement, du développement des communautés de pratique… »

Le deuxième mot « conversations » me vient tout droit de Peter Senge et de son livre le plus célèbre La cinquième discipline (1991). Dans une communauté de pratique, naissante ou mature, les conversations sont le moyen le plus puissant de construction collective et de partage des connaissances.

Le troisième mot « convivialité » me vient d’une réflexion personnelle sur l’importance des moments de convivialité au moment du lancement d’un projet. Mais, le mot « convivialité » sera aussi utilisé dans le sens de la convivialité des outils, et là, c’est Yvan Illich qui est à l’origine du choix de ce mot-clé.

Chacun des mots clés est ensuite abordé selon une structure récurrente  :

-d’abord le quoi, c’est à dire une définition de la notion ,

– ensuite le pourquoi (la cause, la finalité, la raison d’être), le quand (à quel moment ce facteur clé est à prendre en compte, et, enfin,

– le comment  : par quel(s) moyen(s) créer les conditions de la confiance, des conversations de de la convivialité. Le comment pouvant être lu comme un ensemble de recommandations concrètes destinées à l’animateur d’une communauté de pratique interculturelle.

Conclusion (de l’article)

Dans sa conclusion, l’auteur refait le lien entre certains points des théories de l’apprentissage et la traduction dans les choix de l’animateur de la communauté. Il revient par ailleurs sur le choix le plus courant de l’anglais comme langue de travail et nous dit ce qu’il en pense. L’usage de l’anglais risquant de masquer des différences interculturelles, et conduire à des malentendus, et de préconiser ce qu’il appelle «  la médiation culturelle et linguistique  ».

Commentaires et «  Making of de l’article  »

Ici, le commentateur peut ne pas prendre de gants avec l’auteur;-). L’idée n’est pas de remettre en cause, tel ou tel contenu, mais de pointer les limites de l’article au regard de l’expérience accumulée et des lectures effectuées au cours des 2 dernières années  :

Les limites de l’article  :

C’est le plus grand reproche que l’on puisse lui faire, mais l’article ne traite que de manière marginale et incidente l’objet énoncé dans son titre. Autrement dit, les recommandations qui sont faites sont applicables à toute communauté de pratique, interculturelle ou non. L’argument de l’auteur, est que dans le cas des communautés de pratique interculturelles, ces facteurs clés sont encore plus critiques, du fait des préjugés et des difficultés spécifiques dues à l’absence d’une culture commune et d’une langue de travail inégalement maîtrisée.

L’article laisse passer l’occasion de présenter de manière succincte la théorie de l’apprentissage située, mais, à sa décharge, elle est résumée ailleurs dans l’ouvrage.

Avec le recul de deux années de vie en Allemagne, la section dédiée au mot clé «  convivialité  » aurait pû être traitée autrement, en mettant en évidence, par exemple, les risques de malentendus, à l’issue d’une soirée conviviale entre Allemands et Français. Tout en reconnaissant la contribution d’un tel événement au climat de collaboration au sein du groupe, les participants allemands qui en général cloisonnent fortement vie professionnelle et vie personnelle, resteront dans une logique relationnelle «  business as usual  » alors que des participants français risquent de modifier leur mode de relation, ou d’être tenté de le faire, en raison même de leur culture.

D’autres points qui aurait été développés si l’article devait être ré-écrit maintenant  :

  • les difficultés réelles et profondes de la communication en anglais (qui donne à ceux qui la maîtrise un poids dans les échanges qui n’est pas nécessairement corrélé à la pertinence du propos  : une bêtise dite en anglais par un anglais reste une bêtise) ;
  • Les différences culturelles dans la relation au temps et leur impact sur les modalités et la fréquence des interactions  ;
  • La difficulté à définir / délimiter le domaine et les objectifs dans le cas d’une CoP interculturelle (expérience en cours)

Le making of  :

Deux dimensions seront abordées dans ce « making of »  : la dimension collective et la dimension individuelle

La dimension collective du processus d’écriture

Sur le plan collectif, je résumerais mon propos autour de quatre dimensions structurantes: le contexte, les objectifs, la structure du contenu et le processus d’élaboration

Le contexte du projet: il s’inscrit dans un projet plus vaste le projet InnovENT-E

=> il doit servir ce projet;

=> il doit servir différentes catégories d’acteurs au sein de ce projet;

=> il constitue un livrable ou sous-livrable des livrables du projet.

Les objectifs: Ils sont partiellement donnés dans le cahier des charges de l’appel à contribution et sont (re)négociés au cours des échanges initiaux (voir ci-dessous le processus).

La structure de l’ouvrage: Elle est abordée de manière collaborative à partir d’une trame propos par les auteurs/coordonnateurs du projet (Eddie Soulier et Jacques Audran)

Le processus (collectif et individuel)

Pour faire simple, on peut dire que le processus collectif se découpe en deux temps : un temps collaboratif et un temps coopératif (ou chacun travaille sur sa partie) et contribue au contrôle qualité de l’ensemble.

Le temps collaboratif se situe dans la phase amont d’écriture. Une première réunion présentielle d’échanges en grand groupe avec une présence instiutionnelle du projet InnovENT-E. Au cours de cette réunion que l’on pourrait qualifier de lancement, seront présentés le contexte du projet, la place de l’ouvrage collectif dans la stratégie des partenaires, et des échanges sur le fond auront lieu entre les co-auteurs présent: (leur vision, leurs références théoriques – de quel auteur ils se réclament -, leur expérience pratique, et le sujet qu’ils envisagent plus particulièrement de traiter dans leur contribution)

La deuxième réunion collective est consacrée à la présentation par chaque co-auteur du concept de son article: structure, messages clés, références; c’est l’occasion de soumettre le concept de l’article une analyse critique et néanmoins bienveillante, quoique pas toujours ;-).

Le temps coopératif, se situe plus en phase aval de mise au point et relecture de l’ouvrage, comme pour la réalisation d’un patchwork collectif, chacun est en charge de sa pièce et vérifie les coutures avec les autres pièce, et les incohérences qui pourraient exister dans les citations de sources multiples.

Le processus individuel d’écriture

A partir de mon expérience de l »écriture d’un ouvrage en collaboration, et selon une méthode de travail relativement courante, j’ai commencé par l’écriture d’un plan détaillé. Le deuxième temps a été consacré à la recherche et l’analyse documentaire , ainsi qu’à la recherche d’un cas d’entreprise ayant mis en place des communautés de pratique franco-allemandes…

Pour faire court, la version française de cette première mouture de l’article (qui incluait l’étude de cas) ne convenant pas, l’architecture de l’article a été renégociée avec les auteurs de l’ouvrage.

la deuxième mouture, ré-introduisait des éléments théroriques mis dans une perspective pratique est celle que je viens de vous présenter, celle qui finalement a été publiée.

Dans l’étape finale, cette deuxième mouture a fait l’objet de relectures successives, de corrections mineures suggérées par le relecteur professionnel.

Entre l’écriture et la parution, plus de deux ans se seront écoulés, deux ans mis à profit pour approfondir les trois dimensions clés dans un contexte professionnel nouveau (vivant et travaillant en Allemagne) par la lecture d’ouvrages et d’articles sur les thèmes de l’entreprise libérée,de la confiance et des conversations, …

En résumé, la contribution à la réalisation d’un ouvrage collectif, oblige à la réification de sa propre pensée sur un sujet donné, commun à l’ensemble des co-auteurs est la concrétisation même d’une des modalités d’apprentissage au sein d’une communauté de pratique et au-delà dans un “paysage de communautés” d’appartenance.

Références et Notes

[1] Communauté de pratique et management de la formation  » ouvrage collectif, sous la direction d’Eddie Soulier et Jacques Audran, paru aux Presses de l’UTBM

[2] Dans les articles précédents nous avons présenté  :

  1. Le contenu des préfaces, de Jean-Louis Billoët et Etienne Wenger-Trayner ainsi que l’introduction de l’ouvrage par les auteurs (Eddie Soulier et Jacques Audran)

  2. L’article d’Amaury Daele  : «  Vers un modèle de compréhension des processus et de l’expérience d’apprentissage au sein des communautés en réseau  » 

  3. L’article d’Eddie Soulier  : La pratique: un phénomène, une perspective ou une ontologie? Quelques clés de lecture pour identifier, délimiter et caractériser une pratique

  4. L’article de Louis-Pierre Guillaume  : Communities@Work: des communautés en réseau chez Schneider Electric

[3] Sur le site d’Etienne Wenger : « Communities of practice are groups of people who share a concern or a passion for something they do and learn how to do it better as they interact regularly ».

(4] ZDP = Zone de Développement Proximal – de manière simplifiée se situe entre ce qu’un apprenant peut faire seul et ce qu’il ne peut pas faire, même avec de l’aide. Autrement dit, c’est ce que l’apprenant peut faire avec l’aide d’un apprenant plus avancé ou d’un maître, enseignant, formateur, tuteur …

 

 

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